À l’appel de plusieurs organisations syndicales et de collectifs de lutte, des milliers de travailleurs sociaux se sont mis en grève le 25 juin dernier. C’est l’ensemble du secteur social qui est descendu dans les rues à Paris, Marseille, Bordeaux, Lyon… De notre côté, nous avons bien entendu pris part à la mobilisation. Sur les boites du 93 où nous sommes implantés des Assemblées Générales ont fleuri, des tracts ont été
massivement diffusés pour alerter les différentes équipes
professionnelles. Au cours de ces nombreux échanges, des espaces de
paroles se sont créés pour dénoncer la casse du social et appeler à battre le pavé. Les travailleurs sociaux du 93 ont répondu en nombre à l’appel.
Rézo est allé à la rencontre d’une petite dizaine d’entre eux pour relayer leurs colères et leurs revendications autour d’une question unique : « pourquoi es-tu en grève aujourd’hui ? »
« Ça tombe très bien que l’ensemble des travailleurs sociaux, éducateurs et le monde hospitalier convergent sur un mouvement de lutte d’autant plus que ça fait un certain nombre d’années qu’on voit les choses se dégrader dans nos métiers. Là, avec Avenir Educs, on s’est mobilisé il y a un an et demi pour contrer une refonte des métiers. L'UNAFORIS (Union Nationale des Associations de FOrmation et de Recherche en Intervention Sociale) et la CPC (Commissions Professionnelles Consultatives une instance rattachée aux ministères qui établit les critères de formations pour les différents métiers) veulent supprimer le métier d’éducateur spécialisé, d’assistante sociale, d’éducateur de jeunes enfants. Pour en faire une espèce d’amalgame complètement hétéroclite avec un travailleur social technocrate qui sera en mesure d’être dans de la gestion et pas dans de la relation humaine. Nous ce qu’on revendique, c’est des formations professionnelles qualifiantes et qui permettent aux éducateurs, aux assistantes sociales de continuer leur travail de relations avec des hommes et des femmes en difficultés. C’est pour ça qu’on est en grève aujourd’hui, c’est pour être debout pour nos métiers et surtout pour permettre aux étudiants de continuer à se former correctement à un métier de l’ accompagnement et pas un métier de la gestion du social».
« Je suis en fin de carrière à la veille de ma retraite et donc c’est un moment où l’on réfléchit beaucoup à son parcours. Pourquoi on s’est engagé dans le travail social et éducatif. Je repense à mon passé d’éducatrice ; j’ai aussi été autant de temps directrice d’établissement et formatrice. Au cours de ces trois périodes de ma vie professionnelle, la seule chose qui m’a toujours mobilisée malgré les hauts, les bas, les crises, les problèmes, c’était l’engagement qu’on peut avoir par rapport à des publics, c’était ce qu’on soutenait et ce qu’on défendait pour un monde moins dur, plus juste, avec aussi, il est vrai beaucoup d’utopie parfois. Je n’ai jamais renoncé à ce qui me tenait à cœur et je ne me retrouve pas dans le profil des travailleurs sociaux qu’on est en train de préparer pour plus tard. Il faut bouger, il faut changer, certes, mais il ne faut pas casser les métiers ».
« C’est pour manifester contre toutes les lois qui sont actuellement en débat pour la refonte des métiers du social, pour la remise en cause des diplômes du secteur. Il y a une offensive qui est en train de s’orchestrer entre les organisations patronales pour emmener à la casse le travail social.
Mes craintes, elles sont multiples. C’est le social au rabais, c’est de voir disparaitre effectivement tout le service digne de ce nom que le social et le sanitaire peuvent offrir à la population. C’est également de voir se marchandiser les missions de services publics et ça, ce n’est pas acceptable ! »
« Je suis salarié sous la convention collective 66 qui va vraisemblablement être modifiée par les syndicats employeurs. Leurs projets vont à l’encontre de certains acquis nous garantissant de bonnes conditions de travail auprès des personnes qu’on accompagne. On a besoin d’avoir des congés et plus particulièrement les congés trimestriels qui risquent à un moment donné de disparaitre. Et ce n’est vraiment pas du luxe, car on fait un métier où l’on a besoin de se reposer. On fait un métier qui demande beaucoup d’énergie psychique. C’est important de pouvoir conserver ces congés là !
Au niveau des métiers aussi, je m’inquiète par rapport à la classification et à la disparition des métiers aux profits des compétences. La formation va aussi être modifiée ; si je suis là aujourd’hui, en premier lieu, c’est pour les personnes, c’est pour les enfants dont je m'occupe à la protection de l'enfance. Qui va en pâtir au bout du compte? Ce sont les publics accompagnés puisque la qualité du travail sera amoindrie. Déjà que c’est de plus en plus compliqué de faire un travail de qualité. On doit être exigeant par rapport aux personnes qui sont en difficultés et tout ce qui est en train de se réaliser va à l’encontre de la qualité du travail. C’est ce que j’ai toujours défendu et c’est pour ça que je suis en grève aujourd’hui ! Il faut continuer à se mobiliser pour les familles et les enfants. »
« Pour lutter contre la casse de la convention collective et la refonte des métiers du social parce que je pense que s’il y a plusieurs métiers du social ce n’est pas pour rien. Il y a une base réelle à chaque métier et là, on est train d’essayer d’inventer un mix de tout, au rabais bien sûr ! Il ne faut surtout pas qu’on perde tous nos acquis. C’est pareil pour les conventions collectives, l’idée d’une convention unique (ndlr : impulsée par le patronat) ce n’est pas pour avoir plus d’avantages, mais pour une convention au rabais. On fait un métier suffisamment difficile pour ne pas en plus n’avoir aucun droit ! »
« Je suis en grève aujourd’hui pour plusieurs raisons. Déjà pour des raisons qui concernent les éducateurs pour la défense des conditions de travail, pour le maintien de la convention 66, mais également pour tout ce qui se passe en ce moment avec les réformes qui affectent les jeunes qu’on accompagne. Je suis en grève aussi aujourd’hui contre les politiques d’austérité qui dépassent largement notre secteur professionnel. Pour la défense de tous les services publics, que ce soit les hôpitaux, la santé, le social… Et plus globalement par rapport à tous les salarié-e concerné-es par les reculs de nos acquis. Sur ma boite, qui est composée de petites structures, la grève a bien pris puisqu’environ 50 % des collègues ont pris part à l’action. C’est vraiment pas mal pour la suite ! »
« Si je suis en grève aujourd’hui, c’est par rapport à la braderie du secteur social. Au-delà de la refonte des métiers, de la remise en cause des acquis conventionnels, c’est vraiment tout le secteur qui subit une offensive généralisée. Sur le terrain, l’austérité se traduit par des postes non remplacés et des équipes en difficultés qui n’arrivent plus à rendre un service de qualité. C’est également une précarité budgétaire renforcée. Par exemple pour certaines structures financées par le département, les durées des conventions sont revues à la baisse. Au lieu d’établir des conventions sur 3 ans qui permettaient d’assurer une certaine stabilité financière, on arrive à des appels à projets annuels. La mise en concurrence devient la norme. Forcément, ça se répercute sur les salarié-es en terme d’objectifs à atteindre pour maintenir la boite à flot. Au final, ce sont encore les usager-es qui vont trinquer, car cette logique de chiffres risque de se traduire par une exclusion des publics les plus en difficultés. C’est une perte totale de sens et des valeurs de nos métiers. Face à ces politiques d’austérité, c’est tout le social qui doit se réveiller pour éviter la marchandisation et la dégradation de nos services respectifs »