dimanche 3 avril 2016

Rézo 93 n°6 - La prévention spécialisée francilienne sous pression



Malgré les problématiques socioéconomiques aiguës qui  caractérisent certains territoires de la région Île-de-France, celle-ci ne fait pas exception au processus général de remise en cause de la prévention spécialisée, à l’œuvre dans divers départements depuis au moins deux ans(1). Compétence facultative du Département, la prévention spécialisée représente concrètement une goutte d’eau dans les finances publiques, alors que les éducateurs de rue sont souvent reconnus comme des acteurs locaux importants, car contribuant au lien social et à l’insertion socioprofessionnelle des jeunes. L’attaque qui lui est faite par les Départements apparaît injuste et irresponsable, en ce qu’elle est commandée par une simple logique d’avarice, sans concertation, à coups de baisses de financement, de suppressions de postes, fusions d’établissements...

Dans le Val-de-Marne, comme en Seine-Saint-Denis, une tradition progressiste en matière de politiques sociales a pour l’instant préservé la prévention spécialisée, bien que, pour le 93, diverses pressions et inquiétudes émergent progressivement. Tout d’abord une pression financière palpable, qui questionne sur la pérennité de divers projets (notamment les chantiers éducatifs), mais surtout, une pression accrue, comme ailleurs, en ce qui concerne les comptes à rendre aux élus, et la lisibilité, estimée insuffisante, des résultats concrets de l’action.

Dans les Yvelines, le Département a décidé en décembre 2015 de diminuer de 30 % ses subventions aux associations de prévention spécialisée, et de recentrer leur action sur deux communautés d’agglomérations, délaissant de nombreux quartiers, véritable sape du secteur accompagnée des fameux appels à projet(2).  Fortes diminutions budgétaires annoncées également en Seine-et-Marne en janvier 2016,  touchant la prévention spécialisée ainsi que plusieurs associations œuvrant dans la protection de l’enfance(3).

À Paris, en apparence, la prévention spécialisée semble s’en sortir un peu mieux, du fait d’une mobilisation des professionnels et de certains élus, qui ont fait reculer la Direction de l’Action Sociale, de l’Enfance et de la Santé (DASES) après les attentats de novembre 2015(4). Lasituation parisienne est donc intéressante à observer. D’abord parce que ce sont les professionnels qui, en se mobilisant, semblent avoir obtenu gain de cause, et qu’il est important de tirer des leçons de ce mouvement.  Ensuite, parce que derrière ce qui est annoncé comme une avancée dans le discours de la mairie de Paris(5), perdure en fait une volonté de refonte du secteur, à travers une redistribution des pouvoirs politiques, une reconfiguration du paysage institutionnel et associatif, et une bataille sur les chiffres et les informations qui permettraient d’y voir plus clair. Nous avons rencontré, en décembre dernier, des membres du Collectif des travailleurs sociaux en prévention spécialisée parisienne (CTSPSP) pour en  savoir plus sur les enjeux en cours à Paris, et relayer les revendications des professionnels de terrain.

On peut vite s’apercevoir que le premier outil du pouvoir politique est la rétention d’informations. Courant 2015, les directeurs d’associations sont reçus « au compte-goutte » par la mairie, dont les véritables intentions n’apparaîtront qu’avec la diffusion des nouvelles conventions 2016-2018, en septembre 2015. Ces conventions annoncent une vingtaine de suppressions de postes (sur 224 éducateurs), des dé-conventionnements d’associations, et une « mise en concurrence des associations par des appels à projets non justifiés », comme le déplore la pétition(6) lancée en octobre 2015.
S’ensuit une mobilisation des éducateurs et chefs de service, qui se traduit par plusieurs réunions, et une  manifestation rassemblant une centaine de personnes à la salle Olympe de Gouges, à l’occasion de la présentation du nouveau Schéma départemental de prévention et de protection de l'enfance, le 9 octobre 2015. Cette manifestation permet au CTSPSP de lire ses  revendications aux décideurs rassemblés ce jour-là. Pour Paris, ce mouvement paraît alors historique par le nombre de professionnels et d’associations qu’il rassemble.
 
Le collectif passe à l’étape supérieure en contactant les élus parisiens : si le Parti Socialiste et Les Républicains font, bizarrement, la sourde oreille, les écologistes et les élus Front de Gauche, en revanche, se montrent très concernés. Danielle Simonnet (Parti de Gauche) contribuera à porter les revendications du CTSPSP au Conseil de Paris en décembre(7), parallèlement aux entrevues obtenues par le collectif avec les autorités de tutelle.

Si depuis la mairie a annoncé avoir fait marche arrière, à travers un renforcement des moyens budgétaires, concrètement, le pouvoir des maires d’arrondissement continue à poser problème, et a une certaine influence sur les décisions de fusion-absorption d’associations, généralement accompagnées par des suppressions de postes et des risques d’« uniformisation » du travail. Là se joue la bataille des chiffres et des informations, que le CTSPSP entend continuer à mener, tout en relayant les inquiétudes des professionnels de terrain, et en luttant pour défendre le métier contre les reconfigurations autoritaires que les décideurs parisiens veulent lui faire subir. Le collectif entend se constituer prochainement en association pour affermir ses positions. Affaire à suivre donc...



1 « Et pendant ce temps-là, la prévention spécialisée est sabrée », L’Humanité, 18 novembre 2015 : http://www.humanite.fr/et-pendant-ce-temps-la-la-prevention-specialisee-est-sabree-589954
2- Communiqué du Collectif des Associations Citoyennes : http://www.associations-citoyennes.net/?p=6980
3- « L’éducation spécialisée inquiète des restrictions budgétaires du département », Le Parisien, 16 février 2016 : http://www.leparisien.fr/melun-77000/l-education-specialisee-inquiete-des-restrictions-budgetaires-du-departement-16-02-2016-5550339.php
4- « Les éducateurs de rue en première ligne », Lien Social, le 7 janvier 2016 : http://www.lien-social.com/Les-educateurs-de-rue-en-premiere-ligne
5- Communiqué de la mairie : « Paris renforce son soutien à la prévention spécialisée », le 15 décembre 2015 : http://www.paris.fr/actualites/paris-renforce-son-soutien-a-la-prevention-specialisee-3201