L’entrepreneur social
En Marche « vers le social business »
Les mutations radicales en cours dans le champ du travail social s’accompagnent de l’émergence d’une nouvelle figure : l’entrepreneur social. Adepte de la « modernité » libérale, chantre du social business, VRP de l’uberisation, l’entrepreneur social entend faire table rase de notre secteur professionnel en imposant un nouveau modèle économique au service du monde de la finance.
La « destruction créatrice »
De coupes budgétaires en fermeture de services, l’austérité s’est installée dans la durée. Pour compresser l’action sociale et la soumettre aux obligations de résultat, les pouvoirs publics se désengagent et généralisent le recours à la prestation par l’intermédiaire des appels à projets. La fin des conventions pluriannuelles et la généralisation des plateformes de subventions dématérialisées ont déjà eu la peau d’un certain nombre de structures. Ce nouveau schéma concurrentiel est perçu par les entrepreneurs sociaux comme une opportunité pour réaliser une OPA sur le travail social. Une bataille entre « les modernes » et « les anciens » est en cours avec d’un côté le patronat de type paternaliste et de l’autre le patronat converti à l’économie de marché. Les luttes de pouvoirs entre les organisations patronales de la BASS s’inscrivent entre autres dans cette perspective. Pour les entrepreneurs sociaux, le concept de « destruction créatrice » théorisé par l’économiste Schumpeter serait actuellement à l’œuvre. La disparition du modèle associatif subventionné par les pouvoirs publics se traduirait par un changement de paradigme ouvrant les portes de l’action sociale aux diplômé-es des écoles de commerce, aux managers issu-es du privé lucratif, aux banques, aux fondations et aux fonds d’investissement…
Ni trust, Ni start’up !
Dans ce nouvel environnement, les entreprises sociales remplaceraient les associations à but non lucratif et emprunteraient sans complexe les méthodes du privé à savoir un marketing offensif, un management par objectifs, ou le développement d’activités rentables… Dans cette partie de Monopoly®, les fusions, les absorptions et les banqueroutes déjà à l’œuvre se multiplieront et laisseront sur le carreau salarié-es et usager-es.
Les entrepreneurs sociaux ont élaboré deux modèles revisitant en profondeur les organisations du travail. Le premier que nous qualifierons de trust du social est en phase de consolidation ou de création. Ces grands ensembles comme le Groupe SOS, Aurore ou certaines Sauvegarde sont le pendant des Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT). Ils se caractérisent par des regroupements de services visant à effectuer des économies d’échelles et par la mise en œuvre d’une chaîne de commandement hiérarchisée cherchant à imposer des pratiques professionnelles normatives et évaluables individuellement. Ces unités interviennent sur des secteurs diversifiés (handicap, protection de l’enfance, insertion, hébergement...). En cas de perte d’un appel à projet, ces unités peuvent rebasculer les professionnel-les sur une autre mission. Avec cette précarité financière, la polyvalence et la gestion deviendront incontournables ; la réingénierie des métiers répond en partie à ces problématiques…
En parallèle aux trusts, « les Uber » de l’action sociale créent des start’up à grand renfort de marketing et de démagogie commerciale. Leur modèle économique est censé limiter le recours au financement public par le développement d’activités lucratives, la levée de fonds par l’intermédiaire du mécénat, la sollicitation des fondations ou du monde la finance. Particulièrement actif sur le terrain de la communication, les pouvoirs publics leurs attribuent un certain nombre d’appel à projet en espérant réaliser une opération marketing doublée d’une économie budgétaire… Sur certains territoires, le déploiement de l’action sociale est porté par un système de sous-traitance avec des travailleurs sociaux libéraux sans droits et sans couverture sociale. Les sirènes de l’indépendance et le mirage de la liberté d’entreprendre attirent toute une nouvelle génération de professionnel-les. Ces startupers s’organisent entre autres dans des ruches ou des plateformes de coworking. Le principe de ces espaces de travail est basé sur la mutualisation des services, l’horizontalité des rapports sociaux et la location de « bureaux » à la journée ou au mois.
Les trusts et les start’up sont en réalité les deux faces d’une même médaille. Les deux modèles agissent de concert pour créer « un marché de la misère » et tirer nos droits vers le bas par la généralisation du dumping social.
Un réseau en Marche…
Dans ce petit monde de startupers, de managers, de communicant-es et de capitaines d’industrie, des figures de proue émergent et structurent les entrepreneurs du social autour de clubs particulièrement actifs. Parmi les têtes de réseaux, nous retrouvons Jean Marc Borello, président du groupe SOS qui s’est chargé de mettre en relation Emmanuel Macron avec Christophe Itier, directeur de la Sauvegarde du Nord, actuel pilier d’En Marche ! dans le Nord. Un focus sur cette personnalité s’impose pour bien cerner le profil type de ces patrons « en Marche ». Diplômé en Ressource Humaine, M. Itier intègre le cabinet de conseil Deloitte et y est mandaté pour effectuer un audit auprès de la Sauvegarde du Nord. Les préconisations émissent séduisent le CA de l’institution qui s’empresse de le débaucher et de lui proposer un poste de DG pour mettre en œuvre ses dites recommandations. En parallèle, la figure montante de l’entrepreneuriat social crée un premier club de dirigeant-es du social dans le Nord sous l’appellation de SOWO. Le succès de cette initiative le propulse sur le devant de scène ; SOWO rejoint alors un autre club d’envergure national : le MOUVES. Ce « MOUVement des Entrepreneurs Sociaux » essaime sur différents territoires et organisent des opérations marketing, des formations visant à promouvoir l’entreprise sociale. Véritable club de rencontres, le groupe met en relation des acteurs de la finance (Crédit Coopératif, Caisse d’Epargne, BNP), des cabinets de conseil (KPMG), des fondations (Vinci, MACIF), des start'upers et des directeurs-trices d’association. Les différentes successions à la tête de cette organisation témoignent d’un fonctionnement clanique. Christophe Itier a été président après avoir succédé à André Dupont par ailleurs président de la Sauvegarde du Nord qui a lui-même précédé Jean Marc Borello. En termes d’objectifs, Le MOUVES entend contribuer à l’émergence d’une nouvelle génération d’entrepreneur, à influencer les pouvoirs publics et à promouvoir un nouveau modèle économique. Pour eux, l’innovation sociale passe des partenariats public/privé. La mise en place des contrats à impacts sociaux sous l’impulsion d’Hugues Sibille, actuel président de la fondation du Crédit Coopératif, est vue comme une aubaine. Le positionnement de la Sauvegarde du Nord sur ce nouvel outil de casse social n’est pas très surprenant…
Les entrepreneurs du social, issus des trusts ou des start’up, avancent de manière structurée pour remodeler le visage de l’action sociale autour de modèles organisationnels et économiques. De réflexions, en élaboration de rapports, en passant par un travail de lobbying et des rencontres entre acteurs de « l’action sociale » et du monde de la finance, cette nouvelle figure menace notre conception du travail social. Leurs liens avec Emmanuel Macron témoignent d’une proximité idéologique qui se traduira par une attaque frontale de nos droits et acquis sociaux. Avec la Loi travail, la réingénierie des diplômes, la transformation des modes de financement et la volonté de NEXEM d’attaquer les conventions collectives, toutes les pièces du puzzle pour un changement radical de paradigme sont en place. Face à ce modèle libéral, la bataille pour le social passera, entre autres, par l’élaboration d’un contre modèle solidaire, critique et de transformation sociale !