Le 16 octobre s’est tenue une journée de formation intersyndicale sur l’avenir de nos métiers. Cette initiative s’inscrit dans un long cycle de mobilisations des professionnel-les du social protestant contre plusieurs projets gouvernementaux. Elle fait suite notamment aux manifestations du 25 juin dernier(1), qui avaient rassemblé des milliers de personnes dans toute la France, et qui avaient été le point d’orgue d’un mouvement entamé au moins depuis 2013. Un retour s’impose sur le sens, les enjeux et perspectives de ces mobilisations.(2)
Une des principales mesures du président Hollande en direction des professions du social depuis son élection a été d’annoncer, par l’intermédiaire du Ministère des Affaires sociales, la tenue des Etats Généraux du Travail Social (EGTS), initialement prévus pour 2014. Cela devait être sur le papier l’occasion d’amorcer un dialogue entre professionnel-les et patronat du secteur, d’un côté, et acteurs/trices gouvernementaux de l’autre ; en vue d’élaborer les réformes destinées à préserver un champ de l’action sociale dévasté par la crise, les réductions budgétaires et les attaques néo-libérales subies depuis de nombreuses années.
Les organisations professionnelles et syndicales du secteur ont cependant déchanté rapidement, en observant le déroulement des réunions préparatoires aux EGTS : nombreux sont les professionnel-les de terrain qui estiment avoir été peu ou mal consultés, et, de surcroît, le principal enjeu de ces EGTS est vite devenu le projet de réforme des formations des travailleurs sociaux. Les EGTS se composent en effet de cinq groupes de réflexion thématiques qui ont chacun rendu un rapport en février 2015, rapports censés synthétiser les échanges préparatoires qui s’étaient déroulés toute l’année précédente.(3) L’un des groupes de réflexion s’est ainsi fortement inspiré des propositions d’une instance consultative pour le moins occulte, la Commission professionnelle consultative du travail social (CPC), qui préconisait rien moins que de supprimer les quatorze diplômes balisant le champ du travail social, pour mettre en place un diplôme detravailleur/euse social-e unique où chacun n’aurait plus qu’à choisir une spécialité d’un certain niveau de qualification. Cette préconisation, avec laquelle le gouvernement a rapidement pris ses distances, inquiétait les professionnel-les à plusieurs titres.
Tout d’abord, sur le plan du droit du travail et des conditions de travail, ce projet de réforme des formations laissait entrevoir une uniformisation des conditions par le bas, une déqualification des professionnel-les, une remise en cause des conventions collectives du secteur, et donc concrètement une accentuation de l’exploitation et de la prolétarisation des travailleurs/euses sociaux plutôt qu’une meilleure reconnaissance en temps de crise sociale. Ensuite et surtout, alors même que le patronat du social, les observateurs et les décideurs revendiquent partout « l’usager au cœur du dispositif » et l’attention prêtée à la personne accompagnée, ce projet de réforme anéantissait de longues traditions professionnelles qui avaient forgé, au cours de leur histoire, des approches spéciales, et enrichi le champ de l’action sociale de points de vue et de pratiques particuliers.
Les diplômes d’assistant-e de service social-e, d’éducateur/trice spécialisé-e ou d’éducateur/trice de jeunes enfants, pour ne parler que des métiers les plus traditionnels, couvrent déjà un champ de compétences et de missions extrêmement divers ; comment imaginer alors un-e travailleur/euse social-e qui s’adapte mieux à la demande du public alors même que toute la richesse et la diversité des approches, des méthodes et cultures professionnelles, auraient été fondues dans un « tronc commun » et des diplômes standardisés ? Ce projet absurde, sous couvert d’efficacité des services, ne cherchait qu’à établir des systèmes de formation et un marché du travail (social) plus rentables et plus faciles à réguler pour les patrons et les autorités publiques, au détriment des missions fondamentales du travail social : l’écoute, la reconnaissance de la personne accompagnée et l’empathie avec celle-ci. Il a déclenché la colère d’un certain nombre de professionnel-les, formateurs/trices et chercheurs/euses, qui ont rejoint les mobilisations des étudiant-es du social en lutte depuis un long moment pour améliorer leurs conditions de stage (et donc de formation).(4) Il est dès lors peu étonnant, vu l’ampleur de la mobilisation et le non-sens du projet, qu’il ait été quelque peu écarté par le gouvernement, qui attendait plutôt, pour prendre ses décisions, le rapport commandé à la députée Brigitte Bourguignon, intitulé « Reconnaître et valoriser le travail social ». Tout un programme...
Ce rapport a été rendu le 2 septembre 2015 au Premier ministre, qui a dans la foulée demandé au Ministère des Affaires sociales de lui proposer, en s’inspirant du rapport Bourguignon, un plan d’action pour le travail social d’ici fin octobre. Certains observateurs/trices s’estiment rassuré-es par la teneur du rapport, qui, tout au long de ses 23 propositions, fait mine de prendre ses distances avec le projet de réforme des formations et d’avancer des pistes intéressantes sur la définition du travail social, le « message de politique générale » nécessaire à celui-ci, la qualification des professionnel-les, la formation et l’accueil des stagiaires, notamment. Cependant, ces quelques signes positifs n’effacent pas de nombreuses ambivalences dans les positions gouvernementales, qui doivent nous amener à penser que la mobilisation est loin d’être finie, et que ceux qui parmi les professionnel-les demeurent attentifs au sens de leur travail et de leur engagement ont tout intérêt à rester vigilant-es...