dimanche 3 avril 2016

Rézo 93 n°6 - Découvrez le "Monopoly Social" et les Social Impact Bonds


Les Social Impact Bonds (SIB) débarquent en France sous le terme de Contrat à Impact Social (CIS). Martine Pinville secrétaire d’Etat en charge de l’économie sociale et solidaire a annoncé le 15 mars dernier l’expérimentation d’un nouveau mode de financement pour le secteur social. Rézo 93 vous présente les règles du « Monopoly Social »…

Aux originesla conquête de nouveaux marchés
Les Social Impact Bonds existent depuis 2010.  Déployés pour la première fois en Grande Bretagne, ce  dispositif de financement a rapidement traversé l’Atlantique pour conquérir de nouveaux marchés aux Etats Unis ou au Canada. Entre temps, avec l’appui du G8 (rassemblement des 8 Etats les plus riches du monde) et de la Commission Européenne, les SIB ont aisément franchi les frontières suisses, portugaises, allemandes ou australiennes… Ce mode de financement s’inscrit dans les politiques visant à libéraliser l’économie et plus précisément à contribuer au démantèlement de l’Etat providence en ouvrant le secteur social au capitalisme financier. En France, l’arrivée des SIB est favorisée par le travail de lobbying d’Hugues Sibille, ancien vice-président du Crédit Coopératif et président du « Comité Français sur l’investissement à impact social ». La mise en place d’un appel à projet interministériel le 15 mars 2016 sur les Contrats à Impact Social ouvre une nouvelle boite de Pandore particulièrement nocive pour notre secteur professionnel…

Les règles… un jeu à 5 joueurs !
Depuis plusieurs mois, nous dénonçons et refusons la généralisation des appels à projets comme moyen de financement de nos associations ; l’arrivée des CIS risque d’enfoncer le clou et d’accélérer la transformation du travail social. Concrètement, les CIS s’apparentent à un Partenariat Public Privé (PPP) adapté à notre secteur. Ils s’articulent autour de 5 acteurs : les associations, l’Etat, un intermédiaire financier, un évaluateur indépendant et des financeurs privés. Apres avoir identifié un « besoin innovant non pourvu », entendez par là, une source potentielle de profit, un agent intermédiaire conventionne avec l’Etat ou une collectivité des objectifs chiffrés et des enveloppes rémunératrices conditionnées au niveau des résultats atteints. L’intermédiaire se charge alors de prospecter des investisseurs en direction des fondations, des banques ou d’entreprises, mais également de dénicher une association, probablement sous la forme concurrentielle des appels à projet, pour mettre en musique l’action sociale. En parallèle, un cabinet d’évaluation indépendant est désigné pour mesurer les impacts de l’action et soumettre l’association au management par les chiffres. Après ce déploiement, la partie peut enfin commencer ! Une fois engagé sur le plateau, l’opérateur intervient dans un environnement chiffrable et quantifiable. Des objectifs sont fixés et conditionnent le niveau de rémunération versé aux investisseurs privés par la puissance publique. Si les résultats sont en dessous, un parachute limitant les risques sera délivré, en revanche si l’opérateur a été performant, un bonus sera délivré et les investisseurs privés pourront réaliser une plus-value.

Le but du jeu… financiariser le social
Les CIS introduisent la possibilité de faire du profit en créant un « social business » ou commerce de la misère. Dans un premier temps, ce dispositif sera mis en œuvre à la marge autour de besoins soit disant non satisfaits. De l’expérimentation à la généralisation, le changement d’échelle est déjà évoqué par une partie du patronat associatif... En période d’austérité et de réduction des budgets, certaines collectivités vont à coup sûr se jeter sur les CIS pour accélérer leurs processus de désengagement de l’action sociale. Mais en y regardant de plus près, les arguments d’économie ou d’innovation sociale ne tiennent pas. La multiplication des acteurs sont autant de parts supplémentaires à rémunérer. Sur le court terme, les lignes comptables seront certes allégées mais sur le long terme c’est une véritable bombe à retardement pour les finances publiques. En effet, l’instauration d’un parachute limite le risque des investisseurs et la perspective de bonus alourdira l’addition. Les CIS peuvent en ce sens être comparés aux emprunts toxiques ou à un Partenariat Public Privé (PPP) qui assurent un niveau de rentabilité au privé sur le dos des pouvoirs publics et du contribuable… Le déploiement des CIS s’accompagne de la création d’un marché avec la possibilité pour les financeurs de revendre des titres et des obligations… Les entrepreneurs du social, les banques, les holdings et les fondations sont déjà sur les starting blocks, la course à la financiarisation du social est ouverte !

Pour gagner… écrasez vos collègues et vos concurrents !
Dans un contexte de remise en cause des formations initiales et de dénonciation des acquis conventionnels, l’arrivée des CIS est le chainon manquant pour accélérer la démolition de l’action sociale. L’ère de la concurrence  généralisée entre les salariés et les opérateurs approche à vitesse grand V. Notre environnement sera probablement impacté de manière radicale. Ce type de financement favorise les regroupements d’associations et l’émergence de trusts du social. La course aux chiffres et aux profits ne s’embarrassera pas des projets associatifs, des méthodes et pratiques professionnelles ; la libéralisation de l’action sociale se traduira par une sélection et exclusion des publics les plus en difficultés. Nous délaisserons alors l’engagement professionnel au service de l’intérêt général au profit du dogme du retour sur investissement.
Futurs joueurs ou simples pions du « Monopoly Social », passez par la case Départ, recevez 20 millions d’Euros… ou allez directement à la case chômage…

Pour aller plus loin, nous vous recommandons de lire le très bon dossier réalisé par le Collectif des Associations Citoyennes ici : http://www.associations-citoyennes.net/?page_id=5286

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